La femme celte


     Les femmes n'ont jamais été « des sujets à côté des hommes », mais des « objets d'échange comme la monnaie dont en beaucoup de sociétés elles portent le nom ». Cette réflexion de Claude Lévi-Strauss est la constatation d'un état de fait répandu dans le monde entier à toutes les époques de l'Histoire. Or toutes les sociétés humaines n'ont pas réagi de la même façon : il s'est souvent trouvé des hommes et des femmes pour penser que la Femme était un membre à part entière de la grande famille humaine. Cela a été le cas des peuples que l'on classe à présent comme étant des Celtes, et qui se sont répandus sur presque toute l'Europe à partir du VIème siècle avant notre ère.

Un authentique Paradis

On sait maintenant que la société de type celtique, du moins en droit, accordait aux femmes une place que celles-ci n'avaient pas dans les autres sociétés contemporaines. Elles participaient à la vie politique et à la vie religieuse; elles pouvaient posséder des biens personnels ; elles pouvaient régner; elles pouvaient fixer librement leur choix sur un homme, elles pouvaient divorcer si leur mari outrepassait ses droits, et, en cas d'abandon du mari ou de l'homme suborneur, elles avaient la possibilité de réclamer une forte indemnité. Mais il faut se garder de conclure que la Femme celte vivait dans un authentique paradis. Car les lois qui les favorisaient, et dont on trouve la preuve dans les codes de lois gallois, bretons et irlandais, ces lois ont quand même été élaborées par des hommes qui appartenaient à une société fortement androcratique, ce que l'on pourrait appeler d'une façon très commode et justifiée - une société paternaliste. Ces lois visaient à maintenir les femmes dans un cadre, certes libéral, mais qui ne mettait pas en cause l'essentiel, c'est-à-dire qui éliminait toutes les conditions qui auraient pu nuire à la foule des individus mâles. En fait, tout se passe comme si les Celtes avaient été obligés de garder certains éléments des anciennes structures ayant existé chez les peuples autochtones qu'ils avaient conquis et assimilés. Avant les Celtes, il est probable que les populations de l'Europe occidentale étaient, sinon de type matriarcal (le matriarcat n'ayant jamais été prouvé), du moins de tendances gynécocratiques. Il est probable que les Celtes ont mis beaucoup plus de temps que les autres peuples indo-européens à contourner les usages hérités des sociétés gynécocratiques qui avaient précédé la leur. D'ailleurs il s'agit bien d'un cadre libéral, conçu et préparé par des législateurs mâles qui respectaient le plus possible les usages théoriques, mais qui devaient s'arranger pour réduire leur importance pratique. On a de multiples exemples historiques, à l'intérieur même des sociétés celtiques, gauloise, bretonne ou irlandaise, qui nous prouvent que ces lois favorables à ce qu'on appelle maintenant le féminisme, n'étaient pas automatiquement appliquées, peu s'en faut, et qu'elles furent, surtout à cause de l'influence du Christianisme, progressivement abandonnées.

Le fondement de la mémoire

Certes, il y a des exemples de femmes remarquables dans l'Histoire.

    Certes, il y a des lois, écrites tardivement sans doute, mais révélatrices en ce qui concerne le statut des concubines ou de divorce par consentement mutuel, lois qui ont perduré en Irlande à l'époque chrétienne. Certes, il y a des héroïnes que l'Histoire n'a pas oubliées, en particulier la célèbre Boadicée ou Boudicca, reine des Iceni, peuple breton en lutte contre les envahisseurs romains. Certes, il y a des preuves que, dans la célébration du culte druidique, puis dans celle du culte chrétien, la participation des femmes n'a jamais été niée ni discutée. Mais c'est surtout dans les mythes et les légendes des anciens Celtes que la Femme apparaît comme un être privilégié. Les mythes sont en effet le fondement de la mémoire. Ils trahissent les intentions les plus profondes des individus groupés dans un corps social. C'est pourquoi il est permis d'affirmer que les peuples celtes, quels qu'ils soient, ont tenté de donner à la femme une situation équilibrée par rapport à celle de l'homme, et cela en fonction de tout l'apport antérieur qui avait modifié leur comportement primitif. Que ce soit une vue de l'esprit, cela importe peu, puisqu'en définitive il s'agit d'une sorte de message, un programme idéal mûri au cours des siècles, élaboré par des cerveaux qui, de toute évidence, n'avaient pas le même système de logique que les Méditerranéens classiques. Il s'agirait plutôt d'une conception originale du rôle de la Femme sur tous les plans, conception qui n'a jamais été mise en pratique, mais qui, par contre, a été rêvée avant que la civilisation dite celtique eût disparu - en tant que civilisation autonome - de l'histoire de l'humanité. Mais la force des mythes récupérés dans des récits légendaires, est de subsister en tant que schéma socioculturel en dépit de tous les changements, de toutes les révolutions et de tous les bouleversements. Le mythe est immanent, et il n'est accessible que s'il est incarné concrètement à travers une certaine permanence. C'est pour cette raison que le mythe celtique de la Femme a pu être récupéré, ne serait-ce que par bribes, dans le cadre des diverses cultures qui sont à l'origine de l'Europe occidentale.

Tristan et Yseult

     Il suffit de citer la célèbre légende de Tristan et Yseult. Elle est pan-celtique, concernant l'Irlande, la Grande-Bretagne et la Bretagne armoricaine. Et elle contient tous les éléments qui font de la Femme celte un être non seulement à part entière mais de plus parfaitement redoutable, une fée ou une divinité en quelque sorte. Mais cette légende n'est pas isolée : ainsi apparaissent les récits irlandais sur Diarmaid et Grainné, où l'on s'aperçoit que l'héroïne, Grainné, porte un nom qui est dérivé de celui du soleil, ce qui est logique puisqu'en gaélique, le soleil est féminin; ou encore l'histoire tragique de Déirdré, symbole de l'Irlande; ou encore l'histoire très romanesque de la reine Guenièvre, épouse d'Uh roi nécessairement cocu, personnage sous lequel on retrouve celui de la reine Irlandais Maeve, qui prodiguait l'amitié de ses cuisses à tout guerrier qui pouvait lui assurer le succès d'une expédition. A une époque où le problème de la femme se pose dans toutes les sociétés contemporaines avec une force qui n'a jamais été encore atteinte, quand on discute parfois âprement du rôle respectif de l'Homme et de la Femme, ou encore de la survie du Couple et du bien fondé du mariage, ne serait-il pas opportun - et fructueux - de se pencher sur cette tradition celtique ancienne dont les spéculations sont peut-être des tentatives de solution ? Il n'est jamais trop tard pour faire jaillir du passé les sources vives de l'avenir.

Jean Markale

Participation et remerciements à Jos Tontlinger


Quel autre remarquable exemple pourrait-on trouver que la magnifique tombe, dite tombe de Vix, d'une princesse celte.

Bretons d'ailleurs

Bibliographie :

La Femme celte, Ed. Payot
L'Amour courtois ou le couple infernal, Ed. Imago.
Mélusine, Ed. Albin Michel.
Petit dictionnaire de mythologie celtique, Ed. Entente.


URL d'origine : http://www.lodace.com/histoire/outils/celte.htm (site fermé)



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